Mise en pratique
Introduction
Afin de rendre compréhensible le mécanisme qui conduit à des offres usuraires, nous proposons de construire et comparer deux formules courantes: le crédit amortissable et le crédit renouvelable « à paliers » tels qu'un consommateur peut les trouver sur le marché français du crédit à la consommation.
Les taux débiteurs seront communs aux deux offres et sont fixés au regard des seuils d'usure du 4è trimestre 2025.
Le montant emprunté est choisi selon un scenario réaliste et de manière à balayer l'ensemble du spectre des taux d'usure.
Nous étudierons trois scénarios d'utilisation:
- crédit amortissable de 6 500€ à taux fixe remboursable sur trois ans à mensualités fixes
- crédit in fine de 6 500€ à taux fixe sur trois ans
- crédit renouvelable « à paliers » de 6 500€ remboursé sur trois ans à mensualités fixes
Nous discuterons pour chaque scénario du prix total pour le consommateur ainsi que le TAEG obtenu. Un tableau récapitulatif sera fourni en fin de document.
Nous montrerons enfin comment un prêteur peut, en adaptant une offre à paliers, respecter l'esprit des réglementations sur l'usure.
Construction des offres
Seuils d'usure
Contrairement aux crédits immobiliers, les seuls d'usure pour les crédits à la consommation—appelés « crédits de trésorerie » sont déterminés en fonction du montant du crédit.
Ils sont publiés par la banque de France. Pour le 4è trimestre 2025 ils sont disponibles sur la page Taux d'usure — 2025-Q4 et sont rappelés dans le tableau suivant:
| Catégorie | Taux moyen constaté au T3-2025 | Taux d'usure pour T4-2025 |
|---|---|---|
| Prêts d'un montant inférieur ou égal à 3 000 euros | 17,62% | 23,49% |
| Prêts d'un montant supérieur à 3 000 euros et inférieur ou égal à 6 000 euros | 11,78% | 15,71% |
| Prêts d'un montant supérieur à 6 000 euros | 6,55% | 8,73% |
Ces taux sont à comparer au TAEG (Taux Annualisé Effectif Global) du prêt considéré.
Taux débiteurs
Rappel sur le taux débiteur et le taux annualisé
Les crédits sont paramétrés en fonction du taux débiteur. Pour obtenir le taux de période, qui est le coefficient multiplicateur appliqué au capital après chaque période il est d'usage de diviser le taux par le nombre de périodes dans une année.
Ex. un taux débiteur de 7,5% avec une périodicité de un mois aura un coefficient multiplicateur de période de 1 + 7,5/1200 = 1,00625 soit un taux de période de 6,25‰ (pour-mille).
Contrairement à un taux débiteur un taux annualisé tient compte des intérêts composés sur un an, et donc la relation entre un taux débiteur et le taux annualisé s'obtient par la formule suivante: (1 + t / p)^p - 1, t étant le taux et p étant le nombre de périodes dans l'année. Ce taux annualisé correspond à l'augmentation du montant emprunté dans le cas où le client ne rembourserait rien pendant un an, laissant les intérêts capitaliser.
Sur l'exemple du prêt à 7,5% avec une période de un mois, le taux annualisé sort à (1 + 7,5 / 1200)^12 - 1 = 7,76%.
Dans le cas des crédits de durée relativement faible cette différence n'est pas significative pour comparer les coûts d'un crédit. C'est le cas des crédits à la consommation.
Le point le plus important à retenir est que ce taux annualisé n'est pas forcément égal au TAEG qui considère l'ensemble de la vie du crédit et en incluant les frais prévisibles : il faut voir le TAEG comme le taux moyen sur toute la vie du prêt.
Taux débiteurs appliqués
Pour fixer les idées nous proposons de construire l'exemple avec les taux débiteurs suivants, qui sont choisis pour être environ 10% en dessous du seuil d'usure :
| Montant emprunté | Taux débiteur | Taux annualisé |
|---|---|---|
| m ≤ 3000€ | 19,33% | 21,14% |
| 3000€ < m ≤ 6000€ | 13,30% | 14,14% |
| 6000€ < m | 7,59% | 7,86% |
Scénarios d'usage
Le montant emprunté est de 6500€ et la durée de vie du prêt est de trois ans, soit trente-six mois.
Rappel qu'un crédit fonctionne de la manière suivante. À la fin de chaque période le capital est:
- augmenté des intérêts
- diminué du remboursement
Le paiement de la cotisation d'assurance est en sus.
Quand le remboursement est inférieur aux intérêts, l'amortissement est dit négatif et le capital emprunté s'accroit; quand il est égal l'amortissement est nul; et finalement quand il est supérieur l'amortissement est positif.
En cas d'événement intervenant en cours de période, des intérêts dits « intercalaires » sont facturés. Pour simplifier nous n'allons pas considérer cet événement, cela ne change les coûts que à la marge.
Crédit amortissable à mensualités constantes
C'est la forme la plus courante du prêt, même si ce n'est pas la plus simple à comprendre. Comme la mensualité est constante, au début cette mensualité rembourse beaucoup d'intérêts—pusique le capital sur lesquels ils s'appliquent est important—et moins de capital—pusique que la mensualité est amputée des intérêts. À la fin les intérêts sont moindres puisque que le capital restant est faible et donc la mensualité rembourse plus de capital.
Pour se faire une idée approximative du coût d'un prêt de ce type, on peut considérer en première approximation que le capital « en moyenne » sur la durée du prêt va être d'environ la moitié du capital emprunté, et que les intérêts vont s'appliquer sur cette moitié de capital pour toute la durée du prêt.
La mensualité est calculable exactement, et fait intervenir la somme d'une série géométrique. Voir aussi cette page liée: Emprunts : mensualités, intérêt, taux, TEG, risque de taux
Le capital emprunté K est de 6500€. Le taux de période est donc 7,59%/12 = 6,325‰
Ce capital se rembourse en 35 mensualités de 202,46€, et une dernière mensualité de 202.41€. Le coût total du crédit est de 7288,51€. Le TAEG est égal au taux débiteur annualisé, ici 7,86%.
Crédit in fine
Le crédit in fine consiste à rembourser tout le capital en une fois à la fin et ne payer que les intérêts à chaque fin de période.
Tel quel ce scénario est assez rare dans le cadre du crédit à la consommation mais il est inclus ici car il maximise le coût d'un prêt pour un certain taux. Pour les crédits auto il est courant de pratiquer un crédit intermédiaire où une partie du capital est remboursé chaque mois et le ballon correspondant à la valeur résiduelle du véhicule est soldé à la fin, soit en rendant le véhicule, soit en payant le ballon: c'est la formule de Location avec Option d'Achat.
Le coût total est typiquement le double du coût d'un crédit amortissable car les intérêts s'appliquent sur la totalité du capital pendant toute la durée du prêt, contrairement au crédit amortissable sur lesquels les intérêts s'appliquent sur une portion qui diminue au fil du temps.
Ce cas est très facile à calculer car la mensualité est égale aux intérêts.
Le capital emprunté K est de 6500€. Le taux de période est donc 7,59%/12 = 6,325‰
Dans notre cas les intérêts reviennent à 6500 x 6,325‰ = 41,11€ ce qui donne la mensualité.
Ce capital se rembourse en 35 mensualités de 41,11€, et une dernière de 6541,11€. Le coût total du crédit est de 7979,96€. Le TAEG est égal au taux débiteur annualisé, ici 7,86%.
Crédit renouvelable à paliers
Comme discuté dans la note principale, le prêteurs font varier le taux débiteur selon l'encours sous le prétexte que le crédit est renouvelable. Cela va conduire mécaniquement à un coût plus élevé des intérêts en fin de prêt, quand le solde passe en dessous des seuils qui conduisent à des taux élevés.
Trouver la mensualité constante n'est pas évident, il n'y a pas de relation mathématique qui conduit au montant. Il faut procéder par approximation successives.
Le capital emprunté est de 6500€
On trouve la mensualité constante 220,06€ par la méthode de la sécante.
Ce capital se rembourse en 35 mensualités de 220,06€ et une dernière de 218,43€. Le coût total du crédit est de 7920,53€. Le TAEG pour cette opération est calculé à 14.17%.
Le TAEG conventionnel est obtenu en remboursant sur 12 mois l'entièreté de la ligne de crédit. Dans ce cas le capital est remboursé avec 11 mensualités de 582,16€ et une dernière de 582,07€. Le coût total du crédit est de 6985,83€. Le TAEG pour cette opération est calculé à 14,39%. Comme on peut le constater la différence de TAEG n'est pas significative.
Afin que le lecteur se rende bien compte du fonctionnement du prêt, le tableau d'amortissement complet est reproduit en annexe. Il convient de prêter attention aux intérêts facturés à partir des échéances n°4 et n°22: juste après l'échéance n°3, le capital emprunté passe en dessous de 6500€, et de la même façon juste après l'échéance n°21 le capital emprunté passe en dessous de 3000€. Dans les deux cas les intérêts facturés subissent un saut et l'amortissement diminue d'autant car le taux débiteur est fonction de l'encours. La mensualité constante « cache » ce fonctionnement.
Dans un crédit classique, on s'attend à ce que la proportion des intérêts payés par la mensualité diminue avec le temps—on parle de comportement monotone. Ce n'est absolument pas le cas ici.
Tableau comparatif
| Scenario | Mensualités | Coût total du prêt | Intérêts | TAEG final | Note |
|---|---|---|---|---|---|
| Crédit amortissable | 202,46€ x 36 | 7288,51€ | 788,51€ | 7,86% | Crédit le moins cher |
| Crédit in fine | 41,11€ x 35 + 6541,11€ | 7979,96€ | 1479,96€ | 7,86% | Crédit le plus cher |
| Crédit renouvelable à paliers | 220,06€ x 36 | 7920,53€ | 1420,53€ | 14.17% | Offre usuraire |
On notera que l'amortissement du crédit renouvelable coûte quasiment aussi cher qu'un crédit in fine, et de fait rien n'interdit à l'emprunteur de s'en servir de cette façon en réutilisant le crédit de manière à rester dans la tranche à taux la plus faible. Du point de vue du prêteur ce comportement est à risque et devrait être pénalisé par une charge de la dette plus élevée. Un client qui éteint sa dette au fur et à mesure diminue le risque de défaut. Il est anormal d'obtenir un coût quasi identique en faisant fonctionner le prêt dans cette configuration.
On notera enfin qu'un même TAEG peut cacher des disparités importantes de charge de la dette selon la formule d'amortissement choisie, même pour une durée égale.
Conclusion
Appliquer un taux débiteur selon l'encours conduit à des offres grossièrement usuraires. Ce type d'offre est selon nous insincère, induit le consommateur en erreur sur les coûts réels et ne respecte pas ni l'esprit ni la lettre de la réglementation sur l'usure.
Une manière simple pour un prêteur de construire une offre conforme à l'usure, selon le TAEG conventionnel et selon les usages raisonnables, consiste à geler le taux débiteur au moment de la dernière utilisation. La phase d'amortissement qui suit devient alors celle d'un crédit à taux fixe et mensualités constantes.
Cette manière de procéder est cohérente vis-à-vis du risque, car un crédit en fin d'amortissement est moins risqué qu'un crédit en usage actif. De même si vers la fin de l'amortissement le client réutilise sa ligne de crédit, il est alors légitime qu'une nouvelle phase d'amortissement s'ouvre avec un taux plus élevé car cette situation constitue une nouvelle prise de risque pour le prêteur.
Bien sûr cette approche n'interdit pas au prêteur de réviser son abaque de taux, conformément à l'article L.312-72 du code de la consommation. Il convient évidemment dans cette hypothèse de vérifier que cela ne provoque pas un comportement usuraire. Un amortissement démarré dans une des tranches des tableaux d'usure doit y rester, tant que le client ne réutilise pas sa facilité de crédit.
Annexe
Tableau d'amortissement
Tableau d'amortissement du crédit renouvelable sur 36 mois pour 6500€ empruntés et avec mensualité constante
| mois | décaissement | mensualité | intérêts | amortissement | capital restant | note |
|---|---|---|---|---|---|---|
| 0 | 6500,00 | 0,00 | 0,00 | 0,00 | 6500,00 | |
| 1 | 0,00 | 220,06 | 41,11 | 178,95 | 6321,05 | |
| 2 | 0,00 | 220,06 | 39,98 | 180,08 | 6140,97 | |
| 3 | 0,00 | 220,06 | 38,84 | 181,22 | 5959,75 | |
| 4 | 0,00 | 220,06 | 66,05 | 154,01 | 5805,74 | le taux passe de 7,59% à 13,30% |
| 5 | 0,00 | 220,06 | 64,35 | 155,71 | 5650,03 | |
| 6 | 0,00 | 220,06 | 62,62 | 157,44 | 5492,59 | |
| 7 | 0,00 | 220,06 | 60,88 | 159,18 | 5333,41 | |
| 8 | 0,00 | 220,06 | 59,11 | 160,95 | 5172,46 | |
| 9 | 0,00 | 220,06 | 57,33 | 162,73 | 5009,73 | |
| 10 | 0,00 | 220,06 | 55,52 | 164,54 | 4845,19 | |
| 11 | 0,00 | 220,06 | 53,70 | 166,36 | 4678,83 | |
| 12 | 0,00 | 220,06 | 51,86 | 168,20 | 4510,63 | |
| 13 | 0,00 | 220,06 | 49,99 | 170,07 | 4340,56 | |
| 14 | 0,00 | 220,06 | 48,11 | 171,95 | 4168,61 | |
| 15 | 0,00 | 220,06 | 46,20 | 173,86 | 3994,75 | |
| 16 | 0,00 | 220,06 | 44,28 | 175,78 | 3818,97 | |
| 17 | 0,00 | 220,06 | 42,33 | 177,73 | 3641,24 | |
| 18 | 0,00 | 220,06 | 40,36 | 179,70 | 3461,54 | |
| 19 | 0,00 | 220,06 | 38,37 | 181,69 | 3279,85 | |
| 20 | 0,00 | 220,06 | 36,35 | 183,71 | 3096,14 | |
| 21 | 0,00 | 220,06 | 34,32 | 185,74 | 2910,40 | |
| 22 | 0,00 | 220,06 | 46,88 | 173,18 | 2737,22 | le taux passe de 13,30% à 19,33% |
| 23 | 0,00 | 220,06 | 44,09 | 175,97 | 2561,25 | |
| 24 | 0,00 | 220,06 | 41,26 | 178,80 | 2382,45 | |
| 25 | 0,00 | 220,06 | 38,38 | 181,68 | 2200,77 | |
| 26 | 0,00 | 220,06 | 35,45 | 184,61 | 2016,16 | |
| 27 | 0,00 | 220,06 | 32,48 | 187,58 | 1828,58 | |
| 28 | 0,00 | 220,06 | 29,46 | 190,60 | 1637,98 | |
| 29 | 0,00 | 220,06 | 26,39 | 193,67 | 1444,31 | |
| 30 | 0,00 | 220,06 | 23,27 | 196,79 | 1247,52 | |
| 31 | 0,00 | 220,06 | 20,10 | 199,96 | 1047,56 | |
| 32 | 0,00 | 220,06 | 16,87 | 203,19 | 844,37 | |
| 33 | 0,00 | 220,06 | 13,60 | 206,46 | 637,91 | |
| 34 | 0,00 | 220,06 | 10,28 | 209,78 | 428,13 | |
| 35 | 0,00 | 220,06 | 6,90 | 213,16 | 214,97 | |
| 36 | 0,00 | 218,43 | 3,46 | 214,97 | 0,00 |
Ce tableau illustre que le coût du crédit ne suit pas une trajectoire régulière : la proportion d'intérêts dans la mensualité peut augmenter en cours de remboursement, phénomène incompatible avec la logique d'un amortissement classique.